Appréhender l’évolution historique et les transformations actuelles des médias.

Selon la définition de Eliseo Veron "Un média c'est un ensemble constitué par une technologie plus les pratiques sociales de production et d'appropriation de cette technologie"

La définition qu’’Eliseo Veron donne d’un média met en système une technologie, le développement technique d’un système communicationnel, les volontés originelles et les usages qui en sont fait. Ce qu’il appel média est la combinaison des trois notions et donc une construction composite. De cette manière l’outil de diffusion d’informations et de contenus mis à disposition du public va entrainer un certain nombre de pratiques et « d’appropriations » de celui-ci, au fur et à mesure ces pratiques vont se structurer et donner lieu à une nouvelle évolution du support médiatique, dans sa technicité ou dans ses contenus. Cette analyse permet de considérer les médias dans leur dynamisme et peut être de donner une définition différente de chacun d’entre eux et de mieux les délimiter. Elle peut notamment permettre de comprendre et d’étudier l’émergence de nouveaux médias et éventuellement la mutation actuelle de certains.
On peut décrire de proche en proche une évolution et une construction historique médiatique telle que celle de la télévision ou celle d’Internet à travers l’énoncé d’Eliseo Veron. L’avantage de cette façon d’envisager les médias, non en tant que seul dispositif technique mais enchâssé dans des pratiques sociales, est qu’ils sont pris en compte dans une globalité et non dans le seul objet. L’objet technique ne compose qu’une partie d’un média. On peut ainsi rappeler l’apparition du concept de télévision est bien antérieur à la concrétisation de ce média. Le télectroscope, le télélectroscope, le téléphotoscope, le télscope électrique ou encore le téléphote sont des anticipations littéraires d’un appareil permettant de voir à distance. Si il était censé mettre les gens en rapport à distance, à la manière du téléphone mais l’image en plus, cet instrument de communication devait également permettre d’assister à des spectacles et autres événements. C’est bel et bien la télévision qui est donc décrite à la fin du XIXème siècle, un média existant d’ores et déjà alors que le support technique n’est encore pas créé. Plus tard la télévision fut réalisée, disputée et confortée dans une technicité issue de celle de la radio et non pas du téléphone ou du cinéma. Dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la télévision s’est très rapidement intégrée dans les foyers. Ce meuble, la « tv », a trouvé sa place dans les salons ou les cuisines réarrangeant l’espace familial autour d’une lucarne lumineuse ouverte sur le monde et attirant toutes les attentions. Elle a créée des pratiques et des usages. La télévision a ainsi profondément modifié les habitudes, le quotidien des gens. Elle est devenue une présence, un outil d’information, d’animation et de distraction. C’est ainsi que s’est peu à peu déterminé la télévision dans un certain déterminisme. Elle n’a finalement pas beaucoup évolué en 50 années d’existence.
Certaines évolutions techniques liées au téléviseur ont entrainée des modifications de la gestion de la diffusion d’information et de contenus. Comme l’expliquent André Gaudreault et Philippe Marion, « la télécommande a accéléré le comportement de zapping et ce comportement a infléchi la configuration même des programmes télévisés ». L’évolution de l’outil provoque l’apparition de nouveaux usages, que ce soit de la part du public ou des producteurs de contenus eux-mêmes. Ces nouveaux usages vont à leur tour entrainés des réajustements de la « consommation » du média ou de la production des contenus. Mais cette évolution technique n’a pas révolutionné profondément la définition du dispositif technique de la télévision.
Si on file cette idée, l’idée d’un média indépendant de son propre support technique, on peut considérer que puisque le dispositif technique peut être substitué à un autre, équivalent ou différent. Ce remplacement induira nécessairement une période d’apprentissage, de familiarisation et d’appropriation des usagers. Une fois créé, il y aurait donc une continuité des médias qui ne disparaitraient pas mais pourraient migrer d’un dispositif technique à un autre. Cette théorie permettrait-elle de mieux comprendre de quelle manière évoluent les médias ? Actuellement, il est possible qu’une évolution résolument marquante soit en train de se préparer.
Internet est-il un nouveau média, un nouveau moyen d’accès aux médias ou une révolution culturelle conduisant à une nouvelle utilisation et consommation des médias ? Le développement de la technologie a permis la mise en place d’un réseau numérique reliant les personnes via un support informatique. Déjà un nombre conséquent des recettes publicitaires ont migrée des médias traditionnels vers le web. Une première pratique sociale indiquant une migration des préoccupations communicationnelles de la télévision, radio et journaux traditionnels vers Internet. Mais la présence de publicités ne saurait justifier à elle seule la classification d’Internet parmi la famille des médias. Depuis quelques années les contenus multimédias se développent et prennent forme. Les usages montrent une tendance au croisement des différents types de contenus (sonores, vidéos, écrits) et à l’investissement de chacun des médias traditionnels sur Internet. Si il n’est pas aisé d’en arriver à une conclusion définissant Internet comme un média à part entière, il est possible de constater qu’il réunit peu à peu un grand nombre, sinon la quasi-totalité, des médias.
De quelle manière est-il possible de mettre perspective le devenir de la télévision, ce dispositif définit par la possibilité de voir à distance et observer des contenus, avec l’évolution d’Internet ? Après une période centrée sur une technologie composée d’un dispositif télévisuel recevant les programmes par la voie des ondes et n’étant consacré qu’à une unique fonction, l’avènement des technologies numériques où les programmes circulent par les lignes téléphoniques ou satellitaires propose une nouvelle ère ou les services et les médias seront couplés et interpénétrés les uns les autres. Un média ne proposera donc plus que des contenus mais sera un espace de choix et d’interactions. On assiste à une véritable « institutionnalisation de l'intermédialité  » entre la télévision et d’autres médias à travers la toile. Cette nouveauté provoque elle-même des nouveaux usages et pratiques de la télévision comme la « vidéo sur demande », ou rediffusion de programmes entraine une utilisation adaptée au cadre de vie de chacun. Les pratiques évoluent. Tout comme l’ordinateur est un « personal computer », la télévision ne devient-elle pas une « télévision personnelle » ? Pour statuer sur ce type de questionnement il faudra certainement attendre une nouvelle stabilisation de la télévision dans un dispositif technique et d’étudier de quelle manière les usages s’en emparent.
Cette modification de l’accès au média ne va-t-elle pas dénaturer en profondeur la pluralité et la liberté de la presse ? En 1999, Meryem Marzouki, la présidente de l’association Imaginons un réseau Internet solidaire, disait « Le drame d’Internet c’est qu’il prend essor à un moment où il n’est pas question de service public ni d’intervention des Etats. ». Elle s’émeut ainsi d’une inégalité de l’accès au réseau Internet et surtout d’une inégalité de formation à une utilisation critique de l’outil. Si un grand nombre de personnes ont en effet accès aux médias électroniques, ils sont pour beaucoup consommateurs d’une information qu’ils ne seraient pas capables de distancier. Une véritable économie du flux d’information se met en place dominée par un nombre restreint d’entreprises de communication produisant un grand nombre des contenus les plus consultés. Un nouveau fonctionnement des médias qui devrait notamment s’accompagner d’une réflexion sur le métier de journaliste.
La conception des médias, et plus particulièrement de leur évolution, développée par Eliseo Veron formalise une manière d’analyser l’évolution des médias et leur histoire. Elle a l’avantage de ne pas se cantonner à un formalisme technologique et de donner une place importante aux pendant socioculturel des médias.
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